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Retour20 septembre 2022
Carolanne d'Astous Paquet - cdastous@medialo.ca
Spéculation foncière : une menace grandissante pour l’agriculture matapédienne
AGRICULTURE

©Lucie Charest - La voix de la vallée
De plus en plus d’investisseurs privés accaparent le marché des terres agricoles en région.
L’acquisition de terres agricoles par des investisseurs non-agriculteurs est un phénomène en expansion au Québec qui tend à s’accentuer dans La Matapédia.
Depuis quelque temps, les investisseurs et promoteurs privés démontrent un intérêt grandissant pour l’agriculture. L’étendue des terres agricoles matapédiennes et la croissance constante de la demande alimentaire mondiale suscitent la convoitise sur les marchés boursiers, si bien que la spéculation foncière constitue une nouvelle alternative à la Bourse classique. La tendance va comme suit : un investisseur se porte acquéreur d’une terre agricole dans le but de la revendre plus cher dans le futur.
« On le voit sur le marché immobilier, mais on vit le phénomène de spéculation en agriculture nous aussi. Cela avait surtout été observé en Montérégie, au Lac-St-jean en descendant par le Kamouraska, mais là, c’est rendu dans La Matapédia. […] On voit de plus en plus de gros portefeuilles financiers acheter des terres pour bénéficier de la valeur foncière qui est en hausse constante », explique le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de La Matapédia, Bruno D’Astous.
Un danger de déclin agricole
Parmi leurs objectifs, les spéculateurs peuvent acheter les terres agricoles dans le but de les revendre ou les mettre en location à prix élevés. Certains préfèrent laisser aller ces terres en friche en espérant que le terrain fasse éventuellement l’objet d’un dézonage agricole. « Le danger, c’est que ça vient empêcher nos agriculteurs de pouvoir cultiver ces terres-là. Les terrains sont achetés à fort prix par les investisseurs qui tentent ensuite de louer aux agriculteurs voisins, mais à des prix exorbitants. Ils dépassent trois ou quatre fois les prix de location auxquels nous sommes habitués de payer. Le prix de location est plus élevé que le rendement net qu’on peut en tirer. Avec de tels prix, ces terres-là ne se louent pas et peuvent se ramasser en friche assez vite […] c’est une perte de valeur pour la région », explique l’agriculteur et porte-parole de l’UPA régionale.
Souvent bien nantis, ces investisseurs non-agriculteurs adhèrent à des méthodes de négociations agressives en coupant l’herbe sous le pied aux agriculteurs locaux. « C’est un danger qui nous guette, c’est relativement nouveau en région comme phénomène. Ce sont des transactions entre particuliers, donc c'est difficile à contrôler. On voit des méthodes agressives d’achat. Ils ont une façon de prendre quelqu’un à l’hameçon. Quand un investisseur arrive avec 100 000 dollars liquide pour réserver une terre, et bien la personne qui souhaite vendre et prendre sa retraite se voit en quelque sorte prise au piège », explique Bruno D’Astous en parlant des tactiques d’achat observées.

©photo archives - l'Avant-Poste
Bruno D'Astous, président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de La Matapédia.
Un phénomène difficile à freiner
Plusieurs intervenants du milieu agricole demeurent inquiets quant à la possibilité de voir les investisseurs accaparer des parts importantes du marché des terres agricoles en région. C’est qu’aucune réglementation, ni projet de loi, ne permettraient de freiner l’élan des spéculateurs fonciers, ni de contrôler le prix de vente des terres. En n’ayant aucune taxation supplémentaire en cas de non-exploitation ni obligation d’entretenir les terres à la suite de l’achat, les investisseurs non-exploitants ont ni plus ni moins que le vent dans les voiles. L’UPA souhaite d’ailleurs que le gouvernement québécois interdise l’achat de terres agricoles par des fonds d’investissement privés en demandant un meilleur encadrement gouvernemental des activités.
Elle-même agricultrice, la candidate de Québec Solidaire dans Matane-Matapédia-Mitis, Marie-Phare Boucher, s’est également prononcée sur le phénomène de la spéculation boursière sur les terres agricoles du territoire. « Je suis vraiment inquiète pour la relève agricole », lance-t-elle. « Il faut non seulement qu’on régularise, mais nous sommes rendus à un point où il faut carrément interdire la spéculation sur les terres agricoles. Ce qu’on suggère à Québec solidaire, c’est d’interdire la vente à des fonds d’investissement privés », poursuit la candidate.
Parmi ses engagements régionaux, madame Boucher souhaite notamment assouplir le fonctionnement de la Commission de la Protection du Territoire Agricole du Québec (CPTAQ) afin de permettre à nos agriculteurs et agricultrices de la relève de faire l’acquisition d’une terre de petit format. « En ce moment, c’est plus facile pour une carrière-sablière de développer un projet d’exploitation sur nos terres agricoles que de morceler une terre agricole pour y démarrer une petite agriculture », explique-t-elle en soulignant l’incohérence.
Des pistes de solutions
Bien au fait de la problématique, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a même rencontré des représentants politiques, pas plus tard que jeudi dernier, afin de trouver des pistes de solution. L’idée de développer un fonds collectif pour rehausser la compétitivité des aspirants-agriculteurs sur le marché serait l’une des pistes étudiées, selon Bruno D’Astous. Questionné sur le sujet, le conseiller en développement des affaires – agroalimentaire à la MRC de La Matapédia, David Jacques, invite les propriétaires de terre agricole à penser « local » avant de vendre à un étranger « Souvent, les producteurs apprennent que la terre du voisin est vendue et ils n'ont même pas été mis au courant », déplore-t-il.
D'ailleurs, certaines initiatives existantes, comme L’Arterre, permettent de faciliter les échanges entre la relève agricole et les propriétaires qui souhaitent transférer leur entreprise agricole ou encore, louer leur terre. « Il y a des outils pour faciliter l’accès aux terres agricoles pour la relève. L'Arterre renferme une banque de noms de propriétaires agriculteurs près de leur retraite et une liste de jeunes intéressés à acheter une ferme », rajoute Bruno D'Astous. Certes, l’accaparement des terres agricoles par des groupes qui ne pratiquent pas l’agriculture demeure un sujet de préoccupation pour les agriculteurs locaux. De toute évidence, des actions concrètes devront être apportées dans un avenir rapproché.
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